Emil Cioran

Paris, point le plus éloigné du Paradis, n’en demeure pas moins le seul endroit où il fasse bon désespérer.

Ce besoin de remords qui précède le mal, que dis-je ! qui le crée…

L’art d’aimer ? C’est savoir joindre à un tempérament de vampire la discrétion d’une anémone.

Ce matin, après avoir entendu un astronome parler de milliards de soleils, j’ai renoncé à faire ma toilette : à quoi bon se laver encore ?

La sainteté me fait frémir, cette ingérence dans les malheurs d’autrui, cette barbarie de la charité, cette pitié sans scrupules…

La tristesse : un appétit qu’aucun malheur ne rassasie.

La musique est le refuge des âmes ulcérées par le bonheur.

Tout persécute nos idées, à commencer par notre cerveau.

Vitalité de l’amour : on ne saurait médire sans injustice d’un sentiment qui a survécu au romantisme et au bidet.

La meilleure manière de nous éloigner des autres est de les inviter à jouir de nos défaites ; après, nous sommes sûrs de les haïr pour le reste de nos jours.

Les sources d’un écrivain, ce sont ses hontes ; celui qui n’en découvre pas en soi, ou s’y dérobe, est voué au plagiat ou à la critique.

Toutes les rancunes viennent de ce que, restés au-dessous de nous-mêmes, nous n’avons pu nous rejoindre. Cela, nous le pardonnons jamais aux autres.

Il est évident que Dieu était une solution, et qu’on n’en trouvera jamais une autre qui soit aussi satisfaisante.

Dieu a exploité tous nos complexes d’infériorité, en commençant par notre incapacité de croire à notre propre divinité.

Il n’y a qu’un remède au désespoir : c’est la prière – la prière qui peut tout, qui peut même créer Dieu…

Expliquer quoi que ce soit par Dieu, c’est céder à une solution de facilité. Dieu n’explique rien, c’est là sa force.

La vieillesse, en définitive, n’est que la punition d’avoir vécu.

La religion est une fatigante solution de paresse.

Pendant l’insomnie, je me dis, en guise de consolation, que ces heures dont je prend conscience, je les arrache au néant, et que si je les dormais, elles ne m’auraient jamais appartenu, elles n’auraient jamais existé.

Mais que savons-nous de Dieu, sinon qu’il est un désespoir qui commence là où finissent tous les autres.

Dieu est une maladie dont on se croit guéri parce que plus personne n’en meurt et dont on est surpris, de temps en temps, de constater qu’elle est toujours là.

Tout sans Dieu est néant ; et Dieu n’est que le néant suprême.

Un croyant qui a perdu la foi, la grâce, pourrait à juste titre accuser Dieu de trahison.

Quand je crie : Seigneur ! Il existe l’espace de mon cri. Cela suffit : que puis-je souhaiter de plus ?